Édition originale – très rare – de ces deux brochures imprimées en octobre 1916 par l’Imprimerie Nationale – le tirage fut limité à 100 exemplaires seulement.
Envoi a. s. de Gilbert de Voisins : à Erlande, dit Albert Taï, son dévoué Augusto.
Cette publication réunit les trois articles en deux fascicules à double pagination – celle du livret, celle de la revue – publiés dans le Journal Asiatique entre 1915 et 1916 : le premier article, rédigé par Segalen à partir de l’exposé qu’il fit devant les membres de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, le 18 décembre 1914, paru dans le numéro de mai juin 1915, le deuxième article, rédigé par Jean Lartigue, paru dans celui de septembre-octobre 1915, le troisième article, le seul rédigé en commun par Segalen et Lartigue, paru dans le numéro de mai-juin 1916.
L’illustration hors texte comprend 48 documents (dont 43 sont tirés sur papier couché), 33 photographies, 2 cartes et 13 plans. Les illustrations proviennent des plaques photographiques réalisées par Segalen, plaques qui donneront lieu à la luxueuse publication de la Librairie Orientaliste Paul Geuthner, parut en 1923 & 1924 pour les atlas et 1935 pour le texte.
Parallèlement à sa formation d’élève interprète, Segalen avait suivi l’enseignement au Collège de France d’Édouard Chavannes, l’un des plus grands spécialistes de la Chine ancienne de son temps – il compta parmi ses disciples Paul Pelliot et Marcel Granet. Segalen n’eut pas à démériter du maître. L’itinéraire qu’il se proposa de suivre pour sa mission de 1914 reprenait et prolongeait celui de l’expédition que Chavannes avait menée en 1907. Baptisée « la Grande Diagonale » à cause de ses six mille kilomètres de parcours tracé entre Pékin et la Birmanie, la mission avait un double but : le premier, archéologique, incombait à Segalen, le second, d’ordre topographique, était réservé à Jean Lartigue chargé de remplir les manques laissés sur la carte par une partie de la Chine encore inconnue. Quant à Gilbert de Voisins, mécène itinérant, il secondait tantôt l’un, tantôt l’autre.
Si l’exploration de l’espace ne fut pas très concluante, celle du passé, en revanche, fut riche en découvertes exceptionnelles. Par exemple, dans la vallée du Si-ngan fou, la mission identifia la plupart des tumuli abritant les tombeaux impériaux, notamment celui, gigantesque, de Tsin Che Houang, fondateur de l’Empire chinois, le plus grand, le plus féroce et le plus détesté des Empereurs, qui avait décidé que l’Histoire commencerait à son règne et qui devait exercer sur l’auteur du Fils du Ciel une fascination extrême – il fut à l’origine de la Grande Muraille, et pour briser l’opposition des intellectuels à son règne despotique, fit détruire tous les livres anciens qu’il pouvait (Confucius et Mencius surtout) et fit brûler vifs, en plus des pauvres libraires, des centaines de collectionneurs soupçonnés de savoir ces livres par cœur. C’est dans son tombeau que l’on découvrira, en 1974, l’armée éternelle... Les autres n’ont réussi qu’à arrondir un tas de terre par-dessus le cercueil. Celui-ci, qui avait brisé les royaumes et réuni pour la première fois l’Empire dans sa main, s’était fait bâtir une élévation belle comme les Pyramides. La forme, le volume, le modelé, étudiés de près sont d’une beauté étendue et noble qui tient de l’art des montagnes mais stylisées.
Ce fut aussi la découverte des sépultures des souverains Han, celle des piliers d’accès des « chemins de l’âme » dont les signes étaient à même de rectifier les incorrections du Réel, ou encore la découverte, capitale pour l’époque, de la plus ancienne statue chinoise connue : le cheval de Houo K’iu-ping, qui fit franchir d’un seul coup deux cents ans à l’histoire de la statuaire chinoise. Bref, la moisson comblait toutes les attentes, même si la mission fut interrompue plus tôt que prévue au sortir de l’unique pont qui franchisse le Yang-tseu, par un courrier tibétain issu de la brume qui leur annonça que la guerre les réclamait.
L’activité d’archéologue ne fut pas la moindre des activités de Segalen. Les spectaculaires découvertes archéologiques réalisées seulement en quelques mois, à un moment où la sinologie n’en était qu’à ses débuts, devait le conforter dans son désir d’embrasser une nouvelle voie, apte à le détourner définitivement de la Maideucine. Il y mit en tous cas beaucoup d’énergie et d’espoir, et là encore, il devait se hausser rapidement au niveau des archéologues les plus réputés de l’époque. La guerre mondiale cassa toute la dynamique amorcée en 1913 et ruina ses efforts accomplis, remisant aux calendes grecques tous les fruits qu’il aurait recueillis de son périple. Peut-être est-ce une des raisons de la profonde dépression qui allait bientôt survenir.
Poète et romancier, spécialiste de John Keats, ami de jeunesse de Gilbert de Voisins - ils signent ensemble Fehl Yasmin en 1905 (sur notre site) -, d’Edmond Jaloux et de Francis de Miomandre, Albert Erlande, est le pseudonyme d’Albert Brandenbourg (1878-1934).
Méditerranéen de nationalité anglaise, il s’engagea dans la Légion étrangère, en 14, avec les étudiants russes de Paris et se retrouva dans les troupes noires expédiés dans les boues du Nord – son aventure militaire restera parmi les équipées les plus sauvages de la guerre – qu’il se retire sans plus d’une époque qui, d’un poète, fait pour un temps un massacreur perdu dans la cohue des bataillons d’Afrique, témoignera Segalen qui fut amené à le soigner à l’Hôpital Maritime de Brest, en octobre 1915, après qu’il ait été évacué du front.
Segalen lui obtiendra une solide réforme temporaire et une année de paix ensoleillée à Marseille afin qu’il puisse contempler tout à loisir ses Peintures.