Édition originale du premier livre de l'auteur.
Envoi : à M. Alex. Leroux, Amitiés, Étienne Eggis 6 N 51.
Poète excentrique, musicien myope ou noctambule enragé, hier parmi les cipayes imaginaires, là composant les vers et la soupe d’une troupe ambulante, mangeur d’argent chez les comtesses lapones ou vaguant sur le vieux continent en paletot poussière, toujours égrenant les routes et les déroutes, les dettes, la bière et le tabac – saison des roses et des petits pois des Voyages aux pays du cœur qu’il laisse en 1852 – oui, mon cher, un fils que j’ai trouvé ici, un fils que j’ai fait il y a dix ans, que voulez-vous j’ai la vue si basse. Un jour Arsène Houssaye le recueille au bout du parc de sa villa, dans le pavillon qu’occupait Nerval. On y ajoute un piano. En trois mois, Eggis entreprend son Voyage aux Champs-Élysées, tribulations dignes du Voyage à la lune de Cyrano, étonnante description du pays qui s’étend de l’obélisque de Louqsor à l’Arc de l’Etoile et où tout Paris afflue. Description, contes et fredaines, nomenclature aussi, admirative ou gouailleuse, des personnalités de l’art dans un panthéonesque défilé littéraire – couvrez-vous, messeigneurs, la république des lettres est passée. Des peintures vives et pittoresques, les cafés concerts, les guignols, les hôtels, les passes, les maisons célèbres… Et le soleil s’ennuie d’éclairer tout ce monde-là… Et les terrassiers, les maçons et les manouvriers piochent, sombres et soucieux.
Après trois mois de dettes parisiennes, Eggis disparaît. On le cherche. Houssaye force son pavillon : ni meubles ni piano… Bien plus tard, la mémoire revient au poète lunatique : Eggis adresse à son hôte une touchante lettre signée votre reconnaissant et dévoué voleur. On se méfierait à moins, mais le bougre a du talent, les portes de papier lui restent ouvertes – Houssaye encore. L’Artiste, que ce dernier dirige, publie au gré des pérégrinations du brigand les confessions d’un poète pauvre, des récits, un court roman, des vers et des lettres où il annonce sa fin prochaine.
Petit neveu de l’auteur d’Obermann, Eggis naquit à Fribourg en 1830, reçut le prénom de son grand-oncle et la protection de sa cousine, Eulalie de Senancour, après qu’il eut perdu mère et frères. Il mourut en 1867, comme meurent les poètes, épuisé par son sacerdoce. Qui sait encore que c’est Eggis qui inventa le mot ensoleillé ? Théophile Gautier le trouva digne de sa palette et, en l’adoptant, le mit en circulation.
La fragile couverture a été doublée et présente des petits manques, quelques rousseurs en début et en fin de volume - sans importance.