Collection complète – rarissime – de cette très importante revue d’avant-garde, littéraire et artistique, fondée et dirigée par Gabriel-Albert Aurier.
Poète et romancier, critique d’art intéressé par la peinture nouvelle, Aurier ouvrit le premier les colonnes du Moderniste illustré à Émile Bernard et à Paul Gauguin dont il avait découvert avec enthousiasme les œuvres lors d’un séjour, en 1887, à Saint-Énogat et à Saint Briac.
Paul Gauguin y publia ses premiers articles imprimés, Notes sur l’art à l’exposition universelle dans les numéros 11 et 12 du mois de juillet et un pamphlet – Qui trompe-t-on ici ? – dans l’avant-dernier numéro du 21 septembre 1889 (numéro 22).
Émile Bernard fit également ses débuts littéraires au numéro 14 du mois de juillet avec ses Notes sur la peinture - Au Palais des Beaux-Arts.
A maintes reprises – avec lucidité – Aurier encouragea les lecteurs du Moderniste à voir au café Volpini la première exposition de peinture du Groupe impressionniste et synthétiste, comme il baptisa lui-même le dit groupe. Les numéros 15, 16 et 17 reproduisent d’ailleurs en belle place des illustrations de Gauguin (Aux roches noires, Les faneuses), Émile Bernard, Louis Roy, Léon Fauché ou Schuffenecker, croquis extraits du célèbre catalogue de l’exposition.
Sous le pseudonyme de Luc le Flaneur, Aurier signa des comptes-rendus d’expositions, dont celle d’avril 1889 chez le père Tanguy où furent accrochés les premiers tableaux de Van Gogh – Aurier devait les célébrer, le premier, avec enthousiasme : voici des toiles de Vincent, formidables de fougue, d’intensité, d’ensoleillement (…).
Aurier signa également des poèmes et notules sous les pseudonymes de Mascarille, Dynam Fumet ou Marc d’Escaurailles – l’illustrateur de la première page du numéro 13…
Parmi les illustrateurs ajoutons : Georges Rouault, Georges Redon, Marcel ou Paul Ruty, Phébus, Boivin, J.-L. Victor Martin ou le directeur administratif du Moderniste, André Henry.
Parmi les collaborateurs littéraires citons : Georges Darien (une nouvelle inédite, La Famille du Gros-Caillou), Édouard Dubus (nombreux poèmes), Gabriel Randon (alias Jehan Rictus), Julien Leclerq (qui fut aussi le secrétaire de Paul Gauguin), Saint-Paul Roux, Louis-Pilate de Brinn’Gaubast, Charles Morice, Rodolphe Darzens, Paul Roinard, Georges Brandebourg, Fernand Clerget, Éphaïm Mikhael, Alexandre Boutique ou Léa d’Arvilliers (l'énigmatique Léo D’Arkai)…
Le Moderniste cessa de paraître en octobre 1889 pour rejoindre La Pléiade et donner naissance au Mercure de France : tous les collaborateurs cités plus haut en seront les membres fondateurs avec les Gourmont, Raynaud, Renard, Samain, Denise, Dumur, Court et autre Père Vallette.
C’est bien évidemment à Aurier que revint la rubrique artistique du Mercure qu’il tint avec éclat jusqu’à sa mort (il mourut en octobre 1892, à 27 ans), examinant les œuvres des peintres à la lumière de conceptions aussi nouvelles que personnelles, distinguant avec clairvoyance l’originalité de chacun – tu verras comme ce littérateur raisonne sur une pointe d’aiguille (Pissarro à son fils Lucien) – ne lui doit-on pas, d’ailleurs, le tout premier article consacré à Van Gogh, jusque-là inconnu, et dont il fut le plus ardent défenseur ?
La Revue indépendante de Fénéon adopta également ce jeune maître de l’avant-garde artistique qui publia son Symbolisme en peinture, Paul Gauguin : retentissante étude dans laquelle Aurier formulait la théorie du “Symbolisme pictural”, où il opposait à l’impressionnisme, fidèle traduction sans nul au-delà d’une impression exclusivement sensorielle, l’art dont Gauguin lui semblait l’initiateur et dans lequel les objets n’avaient de valeur que comme signes, éléments d’un immense alphabet nécessaire pour créer l’œuvre d’art “idéiste ”, “symboliste ”, “synthétique ”, “subjective ” et “décorative ”.
Ce pauvre Aurier est mort – écrira Paul Gauguin à Daniel de Monfreid – Nous avons décidément de la déveine, Van Gogh, puis Aurier, le seul critique qui nous comprenait bien et qui un jour nous aurait été bien utile.
Deux petites restaurations de papier, sans atteinte au texte, au bas des deux premières pages sinon bel exemplaire.