Édition originale du premier livre de l’auteur.
Bel envoi a. s. : à Émile Zola pour vous dire, Maître, très-humbles et très-vrais, mes respects et mes admirations, René Ghil
Avec Mallarmé, Zola est l’un des deux auteurs auxquels Ghil se réfère dans sa préface pour expliquer la genèse de son recueil, recueil qui porte également une citation du Maître de Médan : …nous sommes AMANTS de la vie… (citation longuement commentée dans les pages suivantes). Tout cela a de quoi dérouter quand on sait que Ghil appartint à la nouvelle génération poétique – le groupe du lycée Fontanes notamment, Darzens, Quillard, Merrill, Fontainas, Mikhaël, Hérold – qui, à l’aube du symbolisme, partageait le même esprit d’instinctive réaction contre le naturalisme. A rebours des cénacles – plein de l’horreur du Rêve sans plein air, sans sèves et sans sueurs – Ghil s’inspirait du credo naturaliste du coin de nature vu à travers un tempérament, pour faire dans son œuvre poétique ce que Zola avait fait pour le roman naturaliste : L’Œuvre-Une dont légende d’Ames & de Sangs s’annonçait comme le programme et dont chaque poème devait chanter, sans exclusion aucune, toutes les manifestations de la vie. J’ai regardé un Mariage, et j’essaie de rendre le grouillis à l’issue de la messe. (…) Chaque pièce de vers de mes livres sera un Roman aussi : le roman d’une Heure, d’une Minute, d’un Moment psychologique et physiologique, – avec le Milieu, cadre du Fait : un Fait qui signifiera quelque chose.
Zola aura donc ouvert les yeux et l’appétit de notre poète avide de science et d’expérimentation. D’ailleurs, le naturalisme mâtiné des travaux de Darwin et des expériences d’Helmholtz devait profondément impressionner Ghil. Comme on développe une méchante fièvre, il en conçut une poétique inouïe, tout à la fois positiviste, transformiste, évolutive, scientifique et rationnelle, devant éradiquer à jamais la poésie de rêverie qu’il dénonça avec arrogance chez ses pairs comme dans les pauvres productions des quelques échappés de l’école primaire s’appelant Décadents.
S’il ne connut guère de succès auprès du public, ce premier recueil attira sur son jeune auteur l’attention de ses aînés et particulièrement celle de Mallarmé qui loua les audacieuses intentions annoncées en la préface. Ghil fut convié aux mardis de la rue de Rome après – consécration d’estime – un tête-à-tête particulier : alors, la Légende d’Ame et de Sangs en mains, nous penserons tout haut, moi comme un camarade plus vieux ; mais avec toute la sympathie que j’éprouve pour un de ceux de qui certainement notre Art doit beaucoup attendre (Lettre de Mallarmé du 7 mars 1885, Correspondance, vol. II).
Dans le concert de rénovation poétique de la génération levante, le Traité du Verbe précédé d’un Avant-Dire de Mallarmé que René Ghil publiait peu après la légende, en 1886, fit un bruit du diable avant qu’éclate comme une fanfare dans l’air épais du béotisme particulier à l’an de grâce 1886 (Verlaine) la théorie de l’Instrumentation poétique. Ce fut un coup de cymbale de trop pour Mallarmé que déçut le jeune ami pourtant mis en garde sur l’excès de phraser en compositeur, plutôt qu’en écrivain.
Un manque angulaire, réparé, sur le premier plat de couverture. Quelques rousseurs conservées en début de volume.