Édition originale française.
Un des 25 Japon numérotés du tirage de tête.
Exemplaire du Docteur René Albert Gutmann, comprenant une lettre (2 pp. in-8) et une carte postale photographique envoyés par le traducteur à Gutmann (montés sur onglet) et d’une lettre (jointe) signée Margherita, adressée à Gabriele d’Annunzio.
La lettre de Doderet concerne la défénestration de d’Annunzio survenue dans la nuit du 13 au 14 août 1922 d’un étage de sa maison du lac de Garde, la carte postale en représente la façade.
Tout cela est stupide, en effet, mon cher René. Les médecins affirment que le Cmdt (Commendatore) est hors de danger, et je veux les croire. Mais tant qu’il ne pourra parler couramment il est impossible de bien savoir ce qui se passa. Il était un peu plus de onze heures, Dim. dernier – un 12+1 ! – et le Cmdt en pantoufles et pyjama de soie blanche jouait dans le salon avec les petites Baccara. Il voulut sans doute se cacher dans les rideaux d’une fenêtre. Fut-il pris d’un étourdissement ? A-t-il glissé sur le parquet ciré ? Voulut-il d’un bond s’asseoir sur le rebord qui n’est pas très élevé ? Bref, il perdit l’équilibre, fit une chute de quatre mètres et on le ramassa tout sanglant dans l’allée. Comment ne s’est-il point brisé les côtes contre la bordure de pierre ? Ses jambes portaient de nombreuses éraflures ; des cailloux s’étaient incrustés dans sa joue droite. L’œil sain, le gauche, par bonheur fut protégé. L’hémorragie nasale ne cessa que vers sept heures du matin. Aèlis l’infirmière française du « Nocturne » est près de lui. J’imagine que de longues semaines de repos seront nécessaires. J’ai passé des jours très douloureux ; je savais bien l’aimer mais pas à ce point. Tous ici nous sommes encore bien tristes. Et tu devines le va et vient dans la maison. De nouvelles bibliothèques sont installées ; tout commençait à prendre un air monacal. Il y a des fleurs, du soleil, des amis, des livres – tout est lugubre (…).
D’Annunzio garda le silence sur les circonstances de sa chute. D’après sa biographe, Annamaria Andreoli, Yolanda Bacarra, la jeune sœur de sa maîtresse Luisa, l’aurait repoussé d’un geste brusque alors qu’il cherchait à l’étreindre – geste qui le fit tomber dans le vide. Une note au crayon du Docteur Gutmann précise : en réalité, malgré la lettre de Doderet, il semble que les choses se soient passées autrement. C’est la petite B qui a poussé d’Annunzio et l’a fait volontairement pour basculer – le domestique Dante, tout de suite après l’accident sorti en disant : « Qeste due vacche l’hanno ammazzato ! » (Ces deux chiennes l’on tué). Il y a même eu, pendant la maladie de d’Annunzio, un complot par les volontaires de Fiume pour enlever Luisa B. – et la tuer – c’est le médecin de d’Annunzio qui faisait partie du complot qui au dernier moment s’opposa à son exécution en disant que cette nouvelle émotion le tuerait.
La lettre en français de Margherita à d’Annunzio (2 pp. in-8) concerne, en partie, la première théâtrale de Phèdre (donc 1909) – il y est question d’un nouvel amour et de déboires qui nous échappent (…) vous imaginez la fureur de L. Il a calmé tout cela avec force argent et bijoux, mais je voudrais réellement fuir ces comédies, drames, etc, je n’en puis plus et suis si neurasthénique que je ne sors plus jamais, quelle aventure ! (…)
Le docteur Gutmann fut un intime d’André Doderet, traducteur et ami de d’Annunzio. Médecin major en 1917, Gutmann avait, entrepris sur le front de Thessalonique, la traduction de L’Enfer de Dante que Léon Pichon publia en 1924 et que d’Annunzio préfaça avec retard en 1928.
Collée sous la justification une pastille gaufré en papier doré portant la devise des centurions romains adopté en 1920 par d’Annunzio pendant l’occupation de la ville de Rijeka : Hic manebimus optime – bannière romaine à l’aigle qu’entourent des mains brandissant des glaives dont les pointes sont inclinées vers le sol – on y reste.
Précieux et superbe exemplaire, en reliure italienne du temps.