Librairie Pierre Saunier

[Frédéric Chopin - Eugène Delacroix] Mémoires de Jacques Casanova de Seingalt, écrits par lui-même[Frédéric Chopin - Eugène Delacroix] Mémoires de Jacques Casanova de Seingalt, écrits par lui-même [Frédéric Chopin - Eugène Delacroix] Mémoires de Jacques Casanova de Seingalt, écrits par lui-même[Frédéric Chopin - Eugène Delacroix] Mémoires de Jacques Casanova de Seingalt, écrits par lui-même [Frédéric Chopin - Eugène Delacroix] Mémoires de Jacques Casanova de Seingalt, écrits par lui-même[Frédéric Chopin - Eugène Delacroix] Mémoires de Jacques Casanova de Seingalt, écrits par lui-même [Frédéric Chopin - Eugène Delacroix] Mémoires de Jacques Casanova de Seingalt, écrits par lui-même[Frédéric Chopin - Eugène Delacroix] Mémoires de Jacques Casanova de Seingalt, écrits par lui-même [Frédéric Chopin - Eugène Delacroix] Mémoires de Jacques Casanova de Seingalt, écrits par lui-même[Frédéric Chopin - Eugène Delacroix] Mémoires de Jacques Casanova de Seingalt, écrits par lui-même

Chopin (Frédéric).
[Frédéric Chopin - Eugène Delacroix] Mémoires de Jacques Casanova de Seingalt, écrits par lui-même.

Paris, Paulin, libraire-éditeur, 1833 - 1837 ; 10 volumes in-8, demi-basane bleu nuit, dos lisse orné, filets à froid, filets et palettes dorées  (reliure d'époque).

25 000 €

L'exemplaire de Frédéric Chopin offert à Eugène Delacroix

Quatrième édition et première publication en France des Mémoires de Casanova, établie à partir de l’édition originale publiée à Leipzig par Brockhaus entre 1826 & 1838.

Sur le feuillet de garde du premier tome, cet ex-dono autographe signé de la main de Ludwika Jedrzejewicz, la sœur aînée de Frédéric Chopin :

A son ami Eugène Delacroix

Souvenir de Frédéric Chopin

Le 17 octobre 1849.

Louise Jedrzejewicz née Chopin.

Louise étant la traduction française du prénom polonais Ludwika – elle épousa, en 1832, le juriste Joseph Kalasanty Jedrzejewicz.

Le 17 octobre 1849 est le jour de la mort de Frédéric Chopin. Depuis longtemps sa santé est chancelante. Au printemps 1849, les médecins l’envoient à la campagne respirer un air meilleur, mais, trop fragile pour voyager, on installe le musicien sur la colline de Chaillot, alors peu urbanisée. Durant l’été, son état s’aggrave. A la fin du mois d’août, il est trop tard pour gagner des climats plus favorables. Le célèbre docteur Cruveilhier, dépêché chez Chopin par la Princesse Sapieha, constate une phtisie au dernier stade. Il n’y a plus grand-chose à faire sinon rejoindre un appartement plus chaud, mieux orienté. Depuis qu’il s’affaiblit, Chopin s’appauvrit, il n’a plus de revenus, plus d’économies, il est complètement désargenté. Une nouvelle fois, à son insu, ses amis l’aident et lui trouvent un logement plus approprié. Se sachant près de mourir, Chopin demande à sa sœur Ludwika, qui demeure à Varsovie, de le rejoindre à Paris. A la fin septembre, ils s’installent au premier étage du 12 de la place Vendôme, étage noble qui a les plus hautes fenêtres de la façade et laisse le soleil entrer abondamment. De plus en plus affaibli, Chopin ne quitte plus son appartement, il lui devient même difficile d’aller d’une pièce à l’autre. Le 7 octobre, il annonce avec calme qu’il sent venir l’agonie, qu’elle ne l’effraye pas – il paraît même se réjouir d’en être pleinement conscient. Son état continue de s’aggraver, il respire avec difficulté et s’épuise. Des amis sont venus le voir, on a approché le piano de la porte de sa chambre, on joue et chante pour lui. La voix de la comtesse Delphine Potocka, qui interprète des airs italiens, lui procure un immense plaisir. Franchomme et Marcelina Czartoryska lui jouent l’une de ses sonates. Dans la nuit du 15 au 16 octobre, Chopin sombre à plusieurs reprises dans l’inconscience.

Au matin il fait part à sa sœur de ses dernières volontés. Parmi celles-ci, que l’on joue le requiem de Mozart à son enterrement, que son cœur soit rapporté en Pologne, que ses brouillons, ébauches et manuscrits raturés soient brûlés, ou que l’ébauche de sa Méthode soit donnée à Charles-Valentin Alkan, qui recueillera aussi ses élèves – assurément lui demande-t-il aussi de remettre à Delacroix, absent de Paris, son exemplaire des Mémoires de Casanova, en souvenir de lui – Chopin n’ignorait pas combien son ami aimait l’ouvrage du Vénitien. Il meurt la nuit suivante, vers deux heures du matin.

On se partage quelques objets lui ayant appartenu – ainsi Jane Stirling, aristocrate écossaise, élève et bienfaitrice de Chopin depuis 1842, emporte les sept volumes contenant la quasi-totalité de l’œuvre du compositeur, annotée par lui-même (sa petite nièce les léguera au musicologue Édouard Ganche dans les années 1910). Ludwika s’occupe ensuite de faire vendre aux enchères le mobilier et quelques biens de son frère. La vente a lieu le 30 novembre, aucun livre ne figure dans la liste du commissaire-priseur. Toujours aussi prévenante, Jane Stirling rachète une partie des lots, autant pour les offrir à la sœur de Chopin qu’à ses amis. Ludwika s’en retourne ensuite à Varsovie, emportant le cœur de son frère contenu dans un cristal rempli de cognac et placé dans une urne qu’il lui faut dissimuler à la frontière entre la Prusse et la Pologne.

Delacroix apprit la nouvelle de la mort de Chopin le 20 octobre, et nota dans son journal : chose étrange, le matin, avant de me lever, j’étais frappé de cette idée. Voilà plusieurs fois que j’éprouve de ces sortes de pressentiments. Quelle perte ! Que d’ignobles gredins remplissent la place, pendant que cette belle âme vient de s’éteindre !

Les funérailles eurent lieu le 30 octobre à l’église de la Madeleine. Avec Meyerbeer, Franchomme et Pleyel, Delacroix tint les cordons du poêle – une des quatre extrémités du drap funéraire posé sur le cercueil. Profondément affecté par la mort de son ami, Delacroix partit juste après les obsèques à Champrosay.

Mon pauvre sublime Chopin a quitté ce monde, bien mal ajusté pour les belles âmes. J’ai été bien affecté de ce véritable malheur et, aussitôt que je l’ai pu, je me suis réfugié ici, malgré la mauvaise saison. Puis il garda le silence et cessa d’écrire dans son journal jusqu’en janvier 1850.

On ne connaît pas les circonstances exactes des débuts de cette amitié si importante dans la vie et la pensée de Delacroix. Il était au Maroc – précise Michèle Hannoosh en marge du Journal d’Eugène Delacroix (édition Corti, 2009) – lors du premier concert, triomphal, de Chopin à Paris le 26 février 1832 ; mais il a dû découvrir son talent peu après, la célébrité de Chopin ne cessant de croître dans les années 1833- 1835. Ce qui est sûr, c’est que le 21 mai 1836, Franz Liszt donna un dîner auquel Delacroix et Chopin étaient tous deux présents. Ils se rapprocheront davantage à partir de juin 1838, dans le contexte de la liaison de Chopin et de George Sand. Delacroix fréquente intimement le couple, à Paris comme à Nohant où il se rend régulièrement en villégiature. Ainsi peut-il écrire à son camarade de jeunesse, Pierret, le 7 juin 1842 (Corresp. T.I, pp. 262-263) : le lieu est très agréable, et les hôtes on ne peut plus aimables pour me plaire. Quand on n’est pas réunis pour dîner, déjeuner, jouer au billard ou se promener, on est dans sa chambre à lire ou à se goberger sur son canapé. Par instants, il vous arrive par la fenêtre ouverte sur le jardin, des bouffées de la musique de Chopin qui travaille de son côté ; cela se mêle au chant des rossignols et à l’odeur des roses. Et d’ajouter le 22 juin suivant : J’ai des tête-à-tête à perte de vue avec Chopin que j’aime beaucoup et qui est un homme d’une distinction rare. C’est le plus vrai artiste que j’ai rencontré. Il est de ceux en petit nombre qu’on peut admirer et estimer. Delacroix n’aime rien tant que flâner avec Chopin, parler art et musique avec lui, et le soir sur un canapé à entendre quand le Dieu descend sur ses doigts divins.

Pas un nuage ne troublera cette amitié, même lorsque George Sand abandonnera Chopin, qu’il suffise de consulter le journal ou la correspondance du peintre pour distinguer cette relation privilégiée nourrie d’admiration, d’intelligence, d’affection et de bienveillance. 7 avril 1849, samedi. Vers trois heures et demie, accompagné Chopin en voiture dans sa promenade. Quoique fatigué, j’étais heureux de lui être bon à quelque chose (Chopin est déjà affreusement malade, il ne lui reste que quelques mois à vivre). L’avenue des Champs-Élysées, l’Arc de l’Étoile. La bouteille de vin de quinquina ; arrêtés à la barrière, etc. etc. – Dans la journée, il m’a parlé de musique et cela l’a ranimé. Je lui demandais ce qui établissait la logique en musique. Il m’a fait sentir ce que c’est qu’harmonie et contrepoint ; comme quoi la fugue est comme la logique pure en musique, et qu’être savant dans la fugue, c’est connaître l’élément de toute raison et de toute conséquence en musique. J’ai pensé combien j’aurais été heureux de m’instruire en tout cela qui désole les musiciens vulgaires. Ce sentiment m’a donné une idée du plaisir que les savants dignes de l’être trouvent dans la science. C’est que la vraie science n’est pas ce que l’on entend ordinairement par ce mot, c’est-à-dire une partie de la connaissance différente de l’art. Non ; la science envisagée ainsi, démontrée par un homme comme Chopin, est l’art lui-même, et par contre l’art n’est plus alors ce que le croit le vulgaire, c’est-àdire une sorte d’inspiration qui vient de je ne sais où, qui marche au hasard, et ne présente que l’extérieur pittoresque des choses. C’est la raison elle-même ornée par le génie, mais suivant une marche nécessaire et contenue par des lois supérieures. Ceci me ramène à la différence de Mozart et de Beethoven. Là, m’a-t-il dit, où ce dernier est obscur ou paraît manquer d’unité, ce n’est pas une prétendue originalité un peu sauvage, dont on lui fait honneur, qui est en cause ; c’est qu’il tourne le dos à des principes éternels. Mozart jamais. Chacune des parties a sa marche qui, tout en s’accordant avec les autres, forme un chant et se suit parfaitement. C’est là le contrepoint, punto contrapunto. Il m’a dit que l’on avait l’habitude d’apprendre les accords avant le contrepoint, c’est-à-dire la succession des notes qui mène aux accords. Berlioz plaque des accords, et remplit comme il peut les intervalles. Ces hommes épris à toute force du style, qui aiment mieux être bêtes que ne pas avoir l’air grave. Appliquer ceci à Ingres et à son école.

Delacroix était un grand lecteur, et affectionnait particulièrement les mémoires (Rousseau, Byron, Saint-Simon, Maine de Biran, ou des plus contemporains, Dumas, Sainte-Beuve, Véron, Sand ou Chateaubriand) – lire des mémoires – écrit-il dans son journal (19 août 1858) – des histoires, console des misères ordinaires de la vie par le tableau des erreurs et des misères humaines. (…) Les grands hommes en déshabillé et étudiés à la loupe, s’ils ne relèvent pas beaucoup la nature humaine dans ses plus nobles échantillons, consolent du moins de leur propre faiblesse les hommes mécontents d’eux-mêmes par trop de modestie, ou par un trop grand désir de la perfection (15 mai 1853). Ainsi Delacroix goûte-t-il particulièrement Les Mémoires de Casanova qu’il lit une première fois sur l’édition écourtée de 1829 (probablement l’édition Tournachon-Molin de 1825-1829, première et piètre édition française traduite de l’édition en allemand de Brockhaus, 1822-1828, qui est elle-même une traduction du manuscrit original en français). Cette première lecture lui fit un effet immense comme il le précise dans son journal au 5 février 1847 ajoutant : j’ai eu l’occasion depuis d’en parcourir des passages de l’édition plus complète, et j’ai éprouvé une impression différente – s’agit-il de l’édition française Brockhaus de 1826-1838 (12 volumes) qui est la véritable première édition française puisqu’établie directement sur le manuscrit original composé en français – ou de l’édition Paulin, alors plus répandue en France, qui se contente de recopier pour ses huit premiers tomes la précédente et brode, sous la plume de Busoni, les deux derniers tomes à partir de la fin de l’édition Tournachon-Molin pour satisfaire des lecteurs impatients (en 1837, Brockhaus n’a toujours pas publié la fin des Mémoires débutées en 1826) ? Delacroix relira l’œuvre de Casanova durant l’hiver 1856- 1857, lorsque, gravement malade, il dut garder la chambre de décembre à mars – paraphant dans son lit son journal au 5 février 1847 de cette note postdatée de 1857 : Je relis les Mémoires de Casanova, pendant ma maladie, je les trouve plus adorables que jamais.

Il n’existe pas de catalogue des livres de la bibliothèque d’Eugène Delacroix, juste un inventaire après décès du contenu de sa maison parisienne établi pour les ventes qui s’ensuivirent – un inventaire à la Prévert reproduit par Henriette Bessis dans le Bulletin de la Société de l’histoire de l’art français en 1969 (pp. 199-222). Entre les tableaux, les cartons contenant des centaines de croquis, aquarelles, dessins, lithographies, photographies, les bouteilles et les fûts de vin, vaisselle, casseroles, lingerie, chemises, redingotes, chaussettes et jambières, le mobilier, les rideaux, pistolets, peau de tigre, colifichets et multiples objets de toute sorte, la prisée porte sur une vingtaine de lots comptant approximativement un millier de volumes, brochures, cartonnages ou reliures, sans plus de détails qu’un nom d’auteur égrené parfois pour distinguer un lot d’un autre (Sand, Corneille, Napoléon, Virgile, Thiers…). Des lots de livres estimés 3, 6, 10, 24 ou 50 francs dans lesquels devaient figurer un Baudelaire et un Champfleury dédicacés ou ce Casanova.

A notre connaissance, comparé à l’inventaire de la succession Delacroix, il ne reste pas grand-chose du côté de Chopin, à part quelques reliques et livres de la collection d’Édouard Ganche conservés pieusement par le Musée Chopin de Varsovie, collection d’abord acquise sournoisement, en 1942, par la Bibliothèque de Prusse (pour deux manuscrits seulement) et par Hans Frank, gouverneur allemand de la Pologne – un comble au regard de la politique d’annihilation culturelle des Nazis qui s’empressèrent de dynamiter et de fondre la statue de Chopin du Parc Lazienki dès leur arrivée à Varsovie. Déjà, après l’insurrection polonaise de 1863, les russes s’étaient attaqués à cette icône de la « polonité », incendiant le Palais Zamoyski où résidait la dernière sœur de Chopin, Izabela, anéantissant avec les derniers souvenirs familiaux, des livres, des partitions et le piano Bucholz sur lequel le jeune Frédéric avait appris à jouer. Au peu qu’il subsiste aujourd’hui, on peut ajouter les deux ouvrages musicaux de Vincenzo Bellini ayant appartenu à Chopin proposés naguère par la librairie Jean-Baptiste de Proyart : Beatrice di Tenda et Il Pirata, ce dernier avec un ex-dono de Rossini à Chopin – deux volumes in-4, reliés également en demi-reliure à dos lisse bleu, ornés de filets dorés et à froid, l’un portant le chiffre F. C. en queue – volumes qui furent probablement emportés et conservés par des proches du musicien ce 17 octobre 1849. Les sept volumes emportés par Jane Stirling ce jour-là sont également en demi-reliure bleue à dos lisse, comme les Bellini et ces Mémoires de Casanova.

Cet exemplaire a appartenu au Docteur Lucien-Graux (ex-libris dans chacun des volumes) et comporte une lettre adressée à lui, le 16 septembre 1943, par Frantz Calot, conservateur de la Bibliothèque de L’Arsenal, relative à l’orthographe du nom d’épouse de la sœur de Chopin : Mon cher Docteur, je m’excuse tout d’abord de répondre tardivement à votre lettre. Mais la Bibliothèque vient de fermer du 1 au 15 courant. Aujourd’hui, jour de réouverture, je m’empresse de vous adresser le renseignement que vous souhaitez : la sœur de Chopin, Louise, a porté le nom de : JEDRZEJEWICZ. Je conçois que vous ayez eu quelque peine à le déchiffrer. J’ai trouvé ce renseignement dans  : Frédéric Chopin. Lettres recueillies par Henri Opienski et trad. Par Stéphane Danysz… AV.-Propos de Paderewski. Paris, Malfère, 1933, in-16. Merci pour les promesses que vous voulez bien me faire en faveur de ma maison. Votre bien dévoué Frantz Calot. Lucien Graux mourut en déportation au camp de Dachau en 1944. Cet exemplaire ne figure dans aucune des 9 ventes de livres organisées par sa veuve de 1954 à 1959.

(Cf. Frédéric Chopin, Tadeusz A. Zielinski, Fayard, 1995 – André Delapierre, Chopin à Paris, L’Harmattan, 2004).